Spécificités de la démarche
La recherche en lutherie augmentée se nourrit de ses échanges et recoupements avec de nombreuses autres disciplines. Il est cependant important de distinguer en quoi elle s'en démarque.
Musique mixte en temps réel
On pourrait faire remonter la recherche en lutherie augmentée à des pièces telles que Metallics (Yan Maresz, 1994), bien que la technologie de l'époque en ait fait une pièce pour trompette et bande magnétique pré-enregistrée. Ce type de composition est appelé, dans ce que l'on pourrait qualifier “d'école française”, de la musique mixte en temps différé.
Les évolutions technologiques des ces dernières années permettent maintenant de remplacer ce temps différé par du temps réel, c'est-à-dire essentiellement de remplacer la bande magnétique figée par un dispositif qui va réagir sur le moment à l'interprétation du ou des musicien(s). Comme fer de lance de cette démarche, on trouve les développements autour du logiciel antescofo de l'IRCAM.
Cependant l'école française se concentre spécialement sur l'interprétation de partitions complexes pour instrument(s) soliste(s) et accompagnement de synthèse. Les dispositifs mis en place nécessitent souvent une description minutieuse de la partition et tout écart sera considéré comme un “accident” à “réparer” (ce qui reflète toute une philosophie de la musique!).
La lutherie augmentée telle que nous la concevons a beaucoup à apprendre de cette démarche, mais vise la réalisation de dispositifs beaucoup plus généralistes, se prêtant à l'interprétation de divers répertoires ou à l'improvisation sans qu'il soit nécessaire de “renseigner” l'instrument à l'avance.
Contrôleurs MIDI / OSC / ...
Pas un mois ne passe sans que de nouveaux objets conçus pour piloter de la synthèse sonore n'apparaissent sur le marché. Du plus classique (la pléthore de pad controllers) au plus déjanté (le Crystal Ball de NaoNext), dans la continuité ou non d'instruments existants (le seaboard de Roli), ces produits partagent tous une caractéristique commune: ils servent à enregistrer un certain nombre, déterminé et fini, de paramètres physiques, et à les transmettre à un moteur de synthèse sonore (intégré ou non).
Les instruments de lutherie traditionnelle, en évitant l'encodage d'un nombre fini de paramètres, ouvrent la porte à une finesse de jeu et à de subtils détournements que même les meilleurs contrôleurs sont encore très loin d'égaler. La lutherie augmentée permet donc de garder cette richesse tout en ouvrant les portes du monde de l'électronique.
DJing et live coding
Le DJing (et son discret petit frère le live coding), dans la mesure où ils permettent de “jouer de l'ordinateur”, présentent des similitudes avec la lutherie augmentée. Deux points fondamentaux les en distinguent cependant:
- La lutherie augmentée part d'un instrument acoustique (ou électro-acoustique), alors que le DJing se concentre sur des sons de synthèse ou pré-enregistrés.
- Le DJing consiste en la diffusion et le mixage d'extraits musicaux plus ou moins longs. Si cela rend plus facile la réalisations de beats entraînants, cela limite également les style musicaux abordables et introduit une inertie dans le “jeu instrumental” qui serait tout à fait inacceptable dans un contexte de lutherie.
Installations sonores
Des installations sonores telles que Room Without Walls de Clemens von Reusner (Exposition Universelle, 2000, Hannover) explorent des voies sonores proprement inouïes en inventant des espaces ou objets sonores impossibles (dans une sorte de pendant sonore aux gravures d'Escher).
Précieuses pour leur exploration des possibles, ces installations ont par contre tendance à éliminer tout aspect performatif au profit d'une écoute “pure”. Elles s'éloignent donc radicalement de la lutherie augmentée, qui place l'interprète au centre de ses préoccupations.
Installations interactives
Certaines installations interactives à la frontière entre les arts plastiques et les installations sonores présentent des caractéristiques proches d'un instrument de musique.
Prenons Play the World de Zach Lieberman, exposé au Barbican de Londres en 2014: un clavier permet de jouer de la musique, mais chaque note, plutôt que d'être synthétisée, sera diffusée depuis une station de webradio quelque part dans le monde qui se trouve diffuser justement cette note à ce moment-là.
Cette installation très ludique poursuit cependant des buts très différents de ceux d'un luthier: en introduisant une part considérable d'aléatoire, on rend l'expérience immédiatement amusante pour celui qui la tente, mais on rend du même coup totalement impossible la maîtrise de l'instrument au sens classique du terme, qui permet un contrôle toujours plus grand sur le son produit au fur et à mesure des progrès de l'interprète.